Juriste - RetardVol.fr
15/04/2024
Le tribunal régional de Francfort-sur-le-Main a suscité un débat juridique d'importance en introduisant une question préjudicielle devant la Cour de justice de l'Union européenne, portant sur l'interprétation de l'article 7, paragraphe 3, et de l'article 8, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004.
Cette question découle d'un litige entre Cobult UG, bénéficiaire des droits d'un passager, et TAP Air Portugal SA, une compagnie aérienne, portant sur le remboursement d'un billet suite à l'annulation d'un vol. Le passager avait réservé un vol avec TAP Air Portugal pour un montant de 1 447,02 euros, prévu le 1ᵉʳ juillet 2020, de Fortaleza (Brésil) à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), avec correspondance à Lisbonne (Portugal), qui a été annulé par la compagnie aérienne.
Depuis le 19 mai 2020, TAP Air Portugal avait mis en place une procédure en ligne pour les demandes de remboursement, offrant aux passagers le choix entre un remboursement immédiat sous forme de bons de voyage ou un remboursement ultérieur en numéraire après contact avec le service clientèle. Dans ce cas précis, le passager concerné avait initialement opté pour un bon de voyage. Par la suite, Cobult, à qui il avait cédé ses droits, a exigé un remboursement en argent à TAP Air Portugal, ce qui a été refusé par la compagnie aérienne.
La juridiction de première instance avait rejeté la demande de Cobult, arguant que les droits du passager avaient été éteints par le remboursement sous forme de bon de voyage. Toutefois, Cobult a fait appel de cette décision devant le Landgericht Frankfurt am Main, désigné comme la juridiction de renvoi.
L’essence même de cette affaire réside dans l’analyse approfondie de l'article 7, paragraphe 3, du règlement n° 261/2004, qui dispose que le remboursement du billet sous forme de bon de voyage nécessite un “accord signé du passager”. La CJUE s'attarde notamment sur la définition précise de cette condition, cherchant à déterminer si les modalités de remboursement établies par TAP Air Portugal via son site Internet respectent cette disposition.
La question préjudicielle posée par le tribunal régional de Francfort-sur-le-Main à la Cour est la suivante :
“L'article 7, paragraphe 3, du règlement n° 261/2004 doit-il être interprété de manière à exiger un accord signé du passager pour le remboursement du billet, conformément à l'article 8, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de ce règlement, sous forme de bon de voyage, lorsque le passager choisit cette option sur le site Internet du transporteur aérien, excluant ainsi tout remboursement ultérieur en argent, et reçoit le bon par courrier électronique, sachant que le remboursement en argent n'est envisageable qu'après un contact préalable avec le transporteur aérien ?”
La CJUE a fondé son raisonnement sur la structure même de l'article 7, paragraphe 3, du règlement n° 261/2004, qui met en avant le remboursement du billet principalement sous forme d'argent. En revanche, le remboursement par le biais de bons de voyage est envisagé comme une option subsidiaire, conditionnée par un “accord signé du passager”. Cette notion n'étant pas explicitement définie dans le règlement, la Cour s'est donc penchée sur son sens commun, interprétant cet accord comme un consentement libre et éclairé du passager à choisir le remboursement sous forme de bon de voyage.
La Cour a noté une divergence dans les versions linguistiques du règlement, certaines mentionnant un “accord signé”, tandis que d'autres évoquent un “accord écrit” du passager. Cependant, elle a rappelé que, selon une jurisprudence établie, aucune version linguistique ne doit primer sur les autres dans l'interprétation du droit de l'Union, et que les dispositions doivent être interprétées de manière uniforme à la lumière de toutes les langues de l'Union.
Il est souligné dans cet arrêt qu'un passager ne peut être considéré comme ayant donné son “accord” lorsque le transporteur aérien présente des informations relatives aux modalités de remboursement de manière ambigüe, partielle ou dans une langue non maîtrisée par le passager, voire de manière déloyale. Ceci inclut le fait de soumettre le remboursement sous forme d'une somme d'argent à des procédures supplémentaires par rapport au remboursement par bon de voyage. Cette pratique, en rendant plus difficile l'obtention d'un remboursement en argent, pourrait ainsi altérer l'équilibre entre les deux modes de remboursement établis par le législateur de l'Union, ce qui irait à l'encontre de l'objectif de protection élevée des passagers aériens recherché par le règlement n° 261/2004.
Dans cet arrêt du 21 mars 2024, la Cour de justice a considéré qu’en cas d’annulation d’un vol par le transporteur aérien effectif, le passager est considéré comme ayant donné son “accord signé” pour un remboursement sous forme de bon de voyage s'il a choisi cette option via un formulaire en ligne sur le site Internet du transporteur. Cette décision repose sur la condition que le passager ait pu faire un choix éclairé et efficace, ce qui implique un consentement informé au remboursement sous forme de bon de voyage plutôt qu'en argent. Cependant, cette interprétation requiert que le transporteur aérien ait fourni, de manière loyale, une information claire et complète sur les diverses possibilités de remboursement au passager.
En somme, la clarification apportée par la décision de la CJUE quant à la notion “accord signé du passager” revêt une importance cruciale pour garantir les droits des passagers aériens. En effet, cette décision clarifie les conditions dans lesquelles un passager est considéré comme ayant consenti à un remboursement sous forme de bon de voyage, en s'assurant que le choix est effectué de manière informée et efficace.
💡Cette précision apportée par la Cour renforce la position des passagers en leur offrant une meilleure compréhension de leurs droits et en leur permettant de prendre des décisions éclairées en cas d'annulation de vol, contribuant ainsi à une protection accrue des droits des passagers aériens dans l'Union européenne.